Chapitre 31

 

C’était sa mère !

Comme si la foudre l’avait frappé, Richard se pétrifia. Sa colère et sa rage relâchèrent leur emprise sur son esprit, sans doute parce qu’il était impossible que l’image de sa mère et la soif de tuer y cohabitent.

— Richard… dit-elle en souriant – un sourire mélancolique qui exprimait à quel point elle l’aimait et combien il lui manquait.

Dans un torrent de sentiments et d’idées, Richard essaya de comprendre ce qui lui arrivait. Mais comment faire correspondre son vécu – la terrible nuit de l’incendie – avec ce qu’il avait sous les yeux ? Cela ne pouvait pas être ! C’était impensable !

— Maman… gémit-il.

Des bras dont il se souvenait encore, et qu’il avait si bien connus, s’enroulèrent autour de lui, le réconfortèrent et firent perler des larmes à ses paupières.

— Mon chéri, si tu savais combien tu m’as manqué !

Alors que des doigts doux et tendres lui ébouriffaient les cheveux, Richard, les jambes presque coupées, lutta pour reprendre le contrôle de ses émotions. Il devait se concentrer sur Kahlan ! Pas question de l’abandonner encore parce qu’il se laissait prendre à un piège. S’il avait été plus vigilant, face à « Jehan » son amie n’aurait pas eu à subir le supplice des serpents. Cette femme n’était pas sa mère, mais Shota, une voyante.

Peut-être… Et s’il se trompait ?

— Mon fils, pourquoi es-tu venu me voir ?

Richard posa les mains sur les épaules délicates de sa mère et l’écarta un peu de lui. Elle laissa glisser les siennes jusqu’à sa taille, la pressant avec une tendresse qui fit remonter en lui une multitude de souvenirs.

Ce n’était pas sa mère, se força-t-il à penser, mais une voyante qui savait où était cachée la troisième boîte d’Orden. Il devait obtenir cette information. Cela dit, au nom de quoi la lui donnerait-elle ?

Et s’il se trompait ? Si c’était quand même vrai…

Il posa un index sur la petite cicatrice, juste au-dessus de son sourcil gauche, et suivit ses contours si familiers. C’était lui le coupable ! Alors que Michael et lui se battaient en duel avec leurs épées en bois, il avait sauté du lit pour décocher à son frère un estoc beaucoup trop violent – juste au moment où elle entrait dans la chambre. L’épée l’avait percutée au front, son cri lui glaçant les sangs.

Les coups de fouet de son père l’avaient moins blessé que sa culpabilité. Envoyé au lit sans manger, il n’avait pas réussi à s’endormir. Très tard, sa mère, venue s’asseoir au bord de son lit, lui avait caressé les cheveux pendant qu’il pleurait comme une madeleine. Quand il lui avait demandé si ça lui faisait mal, elle avait souri avant de répondre.

— Beaucoup moins qu’à toi… murmura la femme qui se tenait devant lui.

Richard écarquilla les yeux, des frissons le long des bras.

— Comment savez-vous que…

— Richard, dit dans son dos une voix très calme, mais pressante, qui le fit encore sursauter. Écarte-toi d’elle !

Zedd !

Sa mère voulut lui reprendre le visage, mais il l’ignora, tourna la tête, regarda derrière lui et aperçut le sorcier en haut de la butte. C’était bien Zedd ! Enfin, il le pensait. Cet homme ressemblait à Zedd, mais après tout, la femme était le sosie de sa mère, et…

Non, c’était Zedd ! Avec l’expression qu’il connaissait si bien. L’annonce d’un danger. Un avertissement…

— Richard ! répéta-t-il. Obéis-moi ! Éloigne-toi d’elle, tout de suite !

— Richard, gémit sa mère, je t’en prie, ne me quitte pas ! Tu ne me reconnais donc pas ?

Le jeune homme la regarda de nouveau.

— Si. Vous êtes Shota !

Il lui prit les poignets, arracha ses mains de sa taille et recula. Au bord des larmes, elle le regarda s’éloigner.

Puis elle se tourna vers le sorcier, les bras tendus. Avec un roulement de tonnerre, un éclair bleu jaillit de ses doigts et vola vers Zedd. Aussitôt, le sorcier leva les mains, générant un bouclier qui, comme le verre, reflétait la lumière. L’éclair de Shota le percuta, produisit un vacarme étourdissant, rebondit et alla frapper un chêne, qui explosa dans une gerbe d’échardes. Quand ce qui restait de l’arbre s’écrasa sur le sol, la terre trembla.

Zedd releva les mains. Le feu magique fusa de ses doigts crochus et vola vers sa cible avec un sifflement qui déchira l’air.

— Non ! cria Richard.

La boule de feu projetait partout une lumière jaune et bleue éblouissante.

Ce n’était pas possible ! Sans Shota, ils n’auraient plus aucun moyen de trouver la boîte. Leur seule arme contre Rahl !

Le projectile grossissait en approchant de la voyante, immobile comme une statue.

— Non ! cria encore Richard.

Il dégaina son épée et vint se placer devant Shota. La garde dans une main et la pointe dans l’autre, il brandit l’arme à l’horizontale, comme un bouclier.

La magie se répandit en lui et décupla sa colère. Désormais, lui aussi était le feu et son rugissement emplissait ses oreilles. Les yeux fermés, il tourna la tête sur le côté, retint son souffle, serra les dents et accepta l’idée que sa dernière heure venait de sonner. Il n’avait pas le choix ! La voyante était leur seule chance ! Si elle disparaissait, tout serait perdu.

Sous l’impact, il recula d’un pas. Puis il sentit l’atroce chaleur. Derrière ses paupières baissées, il vit quand même la lumière. Le feu magique hurla de rage quand il percuta l’épée et explosa autour du Sourcier.

Lorsque le silence revint, Richard rouvrit les yeux. Du feu magique, il ne restait plus trace…

Zedd ne capitula pas. Il envoya vers Shota une poignée de sa poussière spéciale. Derrière lui, Richard sentit comme un souffle d’air. La poussière magique de la voyante, aux particules brillant comme des cristaux de glace, éparpilla celle de Zedd et le percuta de plein fouet.

Le vieux sorcier se pétrifia, une main encore en l’air.

— Zedd !

Il n’y eut pas de réponse.

Richard se tourna vers Shota, qui ne ressemblait plus du tout à sa mère. Vêtue d’une robe vaporeuse – un dégradé de gris en guise de couleur – dont les manches et les voiles voletaient au gré du vent, elle arborait une splendide chevelure auburn et une peau de pêche. Ses yeux en amande rivés sur lui, elle était aussi belle que le palais qui se dressait derrière elle et la vallée environnante. Si séduisante que Richard en aurait eu le souffle coupé, n’était la colère qui bouillait encore en lui.

— Mon héros, dit-elle d’une voix mélodieuse qui ne ressemblait plus à celle de la femme de George Cypher. C’était parfaitement inutile, mais seule l’intention compte. Je suis très impressionnée…

— À qui suis-je censé parler ? À une autre vision née de mon esprit ? Ou à la véritable Shota ?

Furieux, Richard reconnut l’influence de l’épée, mais il décida de la garder au clair.

— Ces vêtements sont-ils vraiment toi ? lança la voyante en souriant. Ou les portes-tu pour obtenir un certain effet ?

— Quel effet voulez-vous obtenir à présent ?

— Te plaire, Richard… C’est tout.

— Avec une autre illusion ?

— Non… dit-elle, la voix plus douce. Ce n’est pas une illusion, mais ce que je vois dans mon miroir… La plupart du temps, en tout cas… La réalité, si tu préfères.

Ignorant son babil, Richard désigna la route de la pointe de son épée.

— Qu’avez-vous fait à Zedd ?

Elle haussa les épaules et détourna le regard avec un sourire de petite fille sage.

— Je l’ai empêché de me nuire, rien de plus. Il va très bien. Pour le moment… (Ses yeux pétillèrent de malice.) Je le tuerai plus tard, quand nous aurons parlé…

— Et Kahlan ? demanda Richard, les phalanges blanches à force de serrer la garde de son épée.

La voyante regarda sa victime. Toujours immobile, livide, les lèvres tremblantes, ses yeux épiaient tous les mouvements de Shota. Richard comprit que son amie avait plus peur d’elle que des serpents. La voyante plissa le front et refit son sourire de gamine timide quand ses yeux se reposèrent sur Richard.

— C’est une femme très dangereuse, dit-elle, avec la conviction que donne une expérience bien supérieure à l’âge qu’elle affichait. Plus redoutable encore qu’elle ne le croit elle-même. Je dois me protéger. (Elle haussa les épaules et saisit adroitement un des voiles vagabonds de sa robe. Aussitôt, le vêtement cessa d’onduler, comme si le vent était tombé.) Alors, j’ai eu cette idée pour qu’elle se tienne tranquille. Si elle bouge, les serpents la mordront. Si elle reste tranquille, ils ne lui feront rien. (Elle réfléchit quelques secondes.) Elle aussi, je la tuerai plus tard…

Toutes ces horreurs, lâchées sur un ton si nonchalant !

Richard pensa à utiliser son épée pour trancher la tête de cette femme. Sa colère l’exigeait ! Il visualisa mentalement la scène, et espéra que Shota puiserait cette image dans son esprit. Puis il étouffa un peu sa rage, sans la conjurer vraiment.

— Et moi ? Vous n’avez pas peur de moi ?

— Un Sourcier ? lança Shota avec un rire de gorge. (Elle mit une main devant sa bouche, comme pour cacher son amusement.) Non, pas vraiment…

— Vous devriez peut-être ! grogna Richard, prêt à frapper.

— C’est exact… Dans des circonstances normales, en tout cas. Mais nous vivons des temps hors du commun. Sinon, pourquoi serais-tu ici ? Pour me tuer ? Tu viens juste de me sauver…

Elle foudroya le jeune homme du regard, histoire de signifier qu’il aurait dû avoir honte de dire des bêtises pareilles. Puis elle lui tourna lentement autour. Il tourna avec elle, l’épée brandie, même si elle semblait s’en soucier comme d’une guigne.

— Parfois, on est contraint à de bien étranges alliances, Richard… Seuls les forts sont assez sages pour le reconnaître. (Elle se tut, croisa les bras, et l’étudia avec un sourire pensif.) Mon héros… Je ne me rappelle plus quand quelqu’un m’a sauvé la vie pour la dernière fois… (Elle se pencha vers lui.) Très chevaleresque. Vraiment !

Elle lui passa un bras autour de la taille. Richard aurait voulu l’en empêcher, mais bizarrement, il n’y parvint pas.

— Ne va pas te monter la tête ! J’ai mes raisons pour agir ainsi…

Le jeune homme trouvait la nonchalance de la voyante énervante… et terriblement attirante. Pourtant, il n’aurait pas dû la juger séduisante. Ne venait-elle pas de dire qu’elle allait tuer ses deux meilleurs amis ? Et à voir comment elle avait traité Kahlan, ce n’étaient pas des propos en l’air. Plus grave encore, il tenait son épée, et la colère coulait en lui. Mais la magie de l’arme, s’aperçut-il, était neutralisée par celle de Shota. Il avait le sentiment de se noyer. À sa grande surprise, il trouvait l’expérience agréable…

Shota sourit de plus belle et ses yeux en amande étincelèrent.

— Comme je l’ai déjà dit, seuls les forts sont assez sages pour conclure les alliances qui s’imposent. Le sorcier n’était pas assez avisé, puisqu’il a essayé de me tuer. Idem pour la femme, qui aurait fait pareil. D’ailleurs, elle ne voulait même pas venir ici ! Toi, tu es suffisamment sage pour savoir que les temps actuels exigent que nous unissions nos forces.

— Pas question de faire cause commune avec quelqu’un qui veut tuer mes amis ! dit Richard, résolu à ne pas laisser mourir tout à fait sa colère.

— Même s’ils ont d’abord tenté de m’avoir ? N’ai-je pas le droit de me défendre ? Devrais-je offrir ma poitrine à leurs coups, sous prétexte que ces tueurs sont tes amis ? (Shota secoua la tête avec un sourire las.) Richard, réfléchis un peu à ce que tu dis ! Regarde les choses de mon point de vue…

Il médita sur la question, mais ne répondit rien.

— Tu as été très chevaleresque, continua Shota en le serrant contre elle. Mon héros, tu as fait une chose très rare : risquer ta vie pour défendre une voyante. Cette bravoure mérite une récompense. Je t’accorde la réalisation d’un souhait. Quoi que tu veuilles, il suffira de le dire pour l’avoir. (De sa main libre, elle fit des arabesques dans les airs.) N’importe quoi, parole d’honneur !

Richard voulut ouvrir la bouche, mais la voyante lui posa un index sur les lèvres. Son corps chaud et ferme se pressa contre le sien…

— Ne gâche pas la bonne opinion que j’ai de toi en te précipitant. Tu peux avoir tout ce que tu veux. Ne rate pas ta chance. Réfléchis bien avant de parler. C’est un souhait important, accordé pour une bonne raison, et sans doute le plus crucial de ta vie. Aujourd’hui, impulsivité peut être synonyme de… mort.

Malgré l’étrange attirance qu’il éprouvait pour la voyante, Richard bouillait de rage.

— Inutile de me creuser les méninges des heures ! Je demande que vous ne tuiez pas mes amis. Ne leur faites pas de mal et laissez-les partir.

— Eh bien, soupira Shota, voilà qui complique les choses…

— Vraiment ? Votre parole d’honneur n’a donc aucune valeur ?

La voyante le foudroya du regard et durcit le ton.

— Ma parole est ma parole ! Mais je voulais te prévenir que ça n’allait rien simplifier… Tu es venu chercher la réponse à une question vitale. Et voilà que je propose de réaliser ton vœu ! Le plus logique serait de poser la fameuse question, et d’obtenir la réponse. N’est-ce pas ce que tu désires, au fond ? Essaye de déterminer ce qui compte le plus. Si tu faillis à ton devoir, combien d’innocents mourront ? (Elle le serra de nouveau contre lui, son beau sourire revenu.) Richard, l’épée trouble ton raisonnement. La magie sème la confusion dans ton esprit. Remets-la au fourreau, et repense à ton problème. Si tu es vraiment un sage, tu écouteras mon avertissement. Ce ne sont pas des propos en l’air !

Richard rengaina vivement l’épée, histoire de montrer qu’il n’avait pas l’intention de changer d’avis. Il tourna la tête vers Zedd, toujours pétrifié, puis vers Kahlan, couverte de serpents. Quand leurs regards se croisèrent, il en eut le cœur serré. Son amie voulait qu’il utilise le vœu pour retrouver la boîte. C’était évident…

Il détourna la tête, incapable de supporter cette vision.

— Je ne tiens plus l’épée, Shota, et ça ne change rien. De toute manière, tu répondras à ma question, car ta vie aussi dépend de ma mission. Tout à l’heure, tu l’as implicitement reconnu. Je ne gaspille pas mon souhait. M’en servir pour avoir ce que tu as l’intention de me donner, voilà qui serait du gaspillage ! À présent, tiens ta parole !

— Cher Richard, dit Shota, une antique sagesse dans le regard, un Sourcier a besoin de sa colère, mais ne la laisse pas chasser la raison de ton esprit. Ne juge pas trop vite des actes que tu ne comprends pas entièrement. Toutes les actions ne sont pas ce qu’elles semblent être. Et certaines ont pour but de te sauver.

Elle lui posa une main sur la joue, ravivant le souvenir de sa mère. Sa tendresse le calma et le rendit… mélancolique. Pour la première fois, il n’avait plus peur de Shota…

— S’il vous plaît… souffla-t-il. J’ai formulé mon souhait. Exaucez-le.

— Ton vœu est exaucé, cher Richard, soupira Shota.

Le Sourcier se tourna vers Kahlan. Les serpents grouillaient toujours sur elle.

— Shota, vous aviez promis…

— De ne pas la tuer et de la laisser partir ! Quand tu t’en iras, elle pourra t’accompagner. Mais elle est toujours dangereuse pour moi. Si elle se tient tranquille, les reptiles ne lui feront rien.

— Vous avez dit qu’elle aurait tenté de vous tuer. C’est faux ! Elle m’a guidé jusqu’ici pour que nous vous demandions de l’aide. Mon amie ne vous voulait pas de mal, et vous l’auriez assassinée. À présent, vous lui imposez ce supplice.

— Richard, dit la voyante, un index pensif sur le menton, tu es venu en pensant que j’étais maléfique, n’est-ce pas ? Sans rien savoir de moi, tu étais prêt à me nuire à cause de ce que tu avais imaginé. Ou de ce que tu avais entendu raconter par d’autres, et que tu croyais aveuglément. (Il n’y avait ni ruse ni ironie dans sa voix.) Les gens jaloux ou terrifiés disent du mal de tout. Certains affirment que le feu est un fléau, et que ses utilisateurs sont des démons. Faut-il les croire ? D’autres prétendent que le vieux sorcier est un monstre responsable de beaucoup de morts. Faut-il les croire ? Parmi les Hommes d’Adobe, il y en a eu pour t’accuser d’avoir apporté le malheur chez eux. Est-ce la vérité, juste parce que des fous en sont persuadés ?

— Vous vous êtes fait passer pour ma mère, qui est morte. Est-ce le comportement d’une personne bien intentionnée ?

— Tu aimais ta mère ? demanda Shota, l’air sincèrement blessé.

— Bien sûr…

— Existe-t-il un plus beau cadeau que celui-là ? Revoir un être aimé que la mort a emporté ? N’as-tu pas été heureux de la retrouver ? T’ai-je demandé quelque chose en échange ? Un paiement ? Je t’ai offert quelques minutes de beauté et de pureté. Le souvenir vivant de l’amour qu’elle te portait, et de celui que tu éprouvais pour elle. Sais-tu seulement ce que ça m’a coûté ? Et tu trouves cela maléfique ? En échange, tu envisages de me décapiter avec ton épée ?

Richard ne répondit pas. Il détourna le regard, se sentant soudain honteux. Une réaction qu’il n’attendait pas…

— Ton esprit a-t-il été empoisonné par les paroles des autres ? Par leurs peurs ? Je demande seulement à être jugée sur mes actes. À être prise pour ce que je suis, pas pour ce que pensent les gens. Richard, ne va pas gonfler les rangs de cette armée d’imbéciles !

Le jeune homme en resta bouche bée. Presque mot pour mot, elle exprimait des convictions qui étaient siennes depuis toujours.

— Regarde autour de toi ! Cet endroit est-il laid ? Exsude-t-il le mal ?

— Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau, avoua Richard. Mais ça ne prouve rien. Et ces bois sinistres, avant d’arriver ici ?

— Disons que ce sont les douves de mon château. Un obstacle qui tient à l’écart les fous animés de mauvaises intentions.

Mais Richard avait gardé pour la fin la question la plus dérangeante.

— Et lui ? demanda-t-il en regardant vers les ombres où Samuel était tapi.

— Samuel, viens ici, soupira tristement Shota.

La répugnante créature accourut, se plaça près de sa maîtresse, tout contre elle, et émit un étrange bruit de gorge. Puis ses yeux se rivèrent sur l’épée et n’en bougèrent plus.

Shota caressa la tête de Samuel et sourit gentiment à Richard.

— Je crois que des présentations s’imposent. Richard, voilà Samuel, ton prédécesseur. Le Sourcier précédent.

Richard baissa des yeux écarquillés sur le compagnon.

— Mon épée ! Donne-la !

Samuel tendit les bras et s’agita. Shota murmura doucement son nom. Aussitôt, il se calma et se réfugia contre sa hanche.

— Mon épée… gémit-il. Mon épée…

— Pourquoi… Pourquoi ressemble-t-il à ça ? demanda Richard, pas vraiment convaincu de vouloir connaître la réponse.

— Tu n’es pas informé, n’est-ce pas ? dit Shota, attristée. La magie… Le sorcier ne t’a pas prévenu ?

Richard secoua la tête, incapable d’articuler un son. Sa langue semblait collée à son palais.

— À ta place, j’aurais une petite conversation avec lui…

— Vous… voulez… dire, parvint à souffler Richard, que la magie… me fera… la même chose ?

— Désolée, mais je ne peux pas te répondre… Parmi mes pouvoirs, j’ai celui d’avoir des visions sur les événements que charrie le torrent du temps. Le futur, si tu préfères… Mais la magie de Zedd… Il m’est impossible de la distinguer dans ce flot tumultueux. J’y suis aveugle… Impossible de voir comment elle déferle dans l’avenir…

» Samuel fut le dernier Sourcier avant toi. Il est venu me voir il y a des années, pour demander de l’aide… Mais je ne pouvais rien pour lui, sinon m’apitoyer sur son sort. Puis le vieux sorcier nous est tombé dessus un jour, et il a pris l’épée. (Elle plissa le front, soudain menaçante.) Ce fut une expérience déplaisante – pour nous deux ! Désolée, mais je ne tiens pas ton ami en grande estime, et je n’ai aucune affection pour lui. (Son expression se radoucit.) Depuis, Samuel pense que L’Épée de Vérité était à lui. Mais je ne suis pas de cet avis. De tout temps, les sorciers furent les récipiendaires de l’arme et de sa magie. Ils les confient aux Sourciers… provisoirement !

Richard se souvint de ce que Zedd lui avait raconté. Alors que le précédent Sourcier était avec une voyante, il avait traversé la frontière pour récupérer l’épée. Il s’agissait de Samuel et de Shota ! Kahlan s’était trompée : un sorcier, au moins, avait eu le courage de s’aventurer dans l’Allonge d’Agaden.

— C’est peut-être parce qu’il n’était pas un authentique Sourcier, avança Richard, avant tout pour se rassurer.

— Possible… souffla Shota, pleine de compassion. Mais je n’en sais rien.

— Ce doit être ça… murmura Richard. Il faut que ce soit ça ! Sinon, Zedd m’aurait prévenu. C’est mon ami…

— Richard, il y a en jeu des choses bien plus importantes que l’amitié. Zedd le sait et toi aussi. Quand il le fallait, tu as choisi de le mettre en danger de mort pour préserver l’essentiel…

Richard tourna la tête vers le vieux sorcier. Il avait tellement besoin de lui parler ! Comment était-ce possible ? Tout à l’heure, sans hésiter, il avait pris le risque de sacrifier Zedd pour ne pas perdre sa seule chance de retrouver la boîte…

— Shota, tu avais promis de le laisser partir… La voyante le dévisagea un long moment.

— Je suis désolée, Richard… (Elle agita une main en direction de Zedd, dont les contours se brouillèrent. Puis il disparut.) C’était une illusion. Dans l’intérêt de ma démonstration. Le sorcier n’a jamais été là.

Richard pensa qu’il aurait dû être furieux, mais ce n’était pas le cas. Avoir été abusé le blessait un peu et il se désolait que Zedd ne soit pas à ses côtés. Rien de plus…

Soudain, une vague de terreur glacée déferla en lui et il eut de nouveau des frissons dans les bras.

— Est-ce vraiment Kahlan ? Ou l’avez-vous déjà tuée et remplacée par une illusion ? Dans l’intérêt d’une autre démonstration ?

La poitrine de Shota se souleva quand elle prit une profonde inspiration.

— À mon goût, elle n’est que trop réelle. Et c’est bien là tout le problème…

Shota passa un bras sous celui de Richard et le conduisit devant Kahlan. Samuel les suivit comme leur ombre. Ses bras étaient si longs, même quand il se redressait entièrement, ses yeux globuleux volant de sa maîtresse au Sourcier, que ses doigts dessinaient des arabesques dans la poussière au gré de ses déplacements.

Perdue dans ses pensées comme si elle réfléchissait à un dilemme, Shota observa un long moment Kahlan. Richard voulait seulement que les serpents la laissent en paix. Malgré les paroles amicales et compatissantes de la voyante, Kahlan était toujours terrifiée, et ce n’était pas à cause des serpents. Ses yeux suivaient sans cesse Shota, comme ceux d’un animal pris au piège – braqués sur le trappeur, pas sur le collet.

— Richard, dit Shota, le regard plongé dans celui de Kahlan, pourrais-tu la tuer s’il le fallait ? Si elle devenait un obstacle à ta victoire, aurais-tu le courage de l’éliminer ? Pour sauver tous les autres ? Je veux la vérité…

Malgré le ton égal de la voyante, d’une neutralité désarmante, ses paroles s’enfoncèrent comme des dagues dans le cœur de Richard. Il chercha à croiser le regard de Kahlan, puis se tourna vers Shota.

— J’ai besoin d’elle… C’est mon guide, répondit-il simplement.

— Sourcier, tu éludes ma question !

Richard se tut et tenta de rester impassible.

— C’est bien ce que je pensais… soupira Shota. Voilà pourquoi tu as fait une erreur en formulant ton souhait.

— Je ne me suis pas trompé ! Si je n’avais pas agi comme ça, vous l’auriez tuée !

— C’est vrai… Je ne l’aurais pas épargnée… L’image de Zedd était une épreuve. Tu l’as réussie, et je t’ai accordé la réalisation d’un vœu. Pas pour que tu obtiennes ce que tu voulais, mais afin d’accomplir à ta place un acte pénible que tu n’auras jamais le courage de faire. C’était la deuxième épreuve. Et là, mon cher garçon, tu as échoué. Je suis tenue d’exaucer ton souhait. Voilà ton erreur : tu aurais dû me laisser la tuer !

— Vous êtes folle ! D’abord, vous essayez de me convaincre que vous êtes bonne et qu’il faut vous juger sur vos actes. Ensuite, vous me prouvez le contraire en disant que j’ai eu tort de ne pas vous permettre de tuer Kahlan. Au nom de quoi ? D’un danger imaginaire ? Elle ne vous a pas menacée, et elle n’en a toujours pas l’intention. Comme moi, et comme vous, son but est de vaincre Darken Rahl.

Shota l’écouta patiemment jusqu’au bout, une sagesse sans âge passant de nouveau dans son regard.

— N’as-tu pas écouté quand j’ai dit que toutes les actions ne sont pas ce qu’elles semblent être ? Et que certaines visaient à te sauver ? Une fois de plus, tu juges trop vite, sans connaître toutes les données.

— Kahlan est mon amie. C’est tout ce que j’ai besoin de savoir.

Shota inspira à fond pour se calmer, comme si elle essayait d’expliquer quelque chose à un enfant. Cette réaction donna à Richard le sentiment d’être un rien borné…

— Richard, écoute-moi ! Darken Rahl a mis dans le jeu les boîtes d’Orden. S’il réussit, personne n’aura le pouvoir de lui résister. Jusqu’à la fin des temps ! Beaucoup de gens mourront. Toi et moi aussi. Il est dans mon intérêt de t’aider, parce que tu es le seul en mesure de se dresser contre lui. Comment ou pourquoi, je n’en sais rien, mais je vois le flux de pouvoir en toi. Toi seul peux réussir !

» Ça ne veut pas dire que tu vaincras, simplement qu’il y a un espoir. Aussi infime soit-il, c’est toi qui l’incarnes. Mais je sais aussi que des forces risquent de te détruire avant que tu puisses tenter ta chance. Le vieux sorcier est impuissant contre Rahl, c’est pour ça qu’il t’a confié l’épée. Comme lui, je ne peux pas m’opposer à Rahl, mais je suis en mesure de t’aider. C’est mon plus cher désir, et il y a dedans une part d’égoïsme… Je ne veux pas mourir ! Et ce sera mon destin si Rahl triomphe.

— Je le sais… C’est pour ça que je n’ai pas utilisé mon souhait pour apprendre où est la boîte.

— Mais j’ai connaissance d’autres choses, Richard, que tu ignores.

Le visage de Shota exprimait une détresse qui serra le cœur de Richard. Dans ses yeux brillait la même intelligence que dans ceux de Kahlan. Il sentait en elle le désir sincère de l’aider. Soudain, il eut peur des « choses » qu’elle connaissait, parce qu’il comprit qu’elle ne cherchait pas à lui faire du mal. C’était tout simplement la vérité ! Voyant le regard de Samuel rivé sur l’épée, il prit conscience que sa main reposait sur la garde, la serrant si fort que les lettres du mot « Vérité » appuyaient douloureusement contre sa paume.

— Shota, que sais-tu donc que j’ignore ?

— Commençons par le moins pénible… Tu te rappelles comment tu as arrêté le feu du sorcier avec ton épée ? Entraîne-toi à cette parade. Mon épreuve avait une raison. Zedd utilisera sa magie contre toi. Mais cette fois, ce ne sera pas une illusion. Le torrent du temps ne m’a pas dit lequel de vous deux vaincrait, seulement que tu aurais une chance.

— Ça ne peut pas être vrai…

— C’est aussi vrai, coupa Shota, que le croc donné par ton père pour désigner le gardien du livre et indiquer comment il l’a obtenu !

Un coup de poing aurait moins sonné Richard.

— Inutile de demander, j’ignore qui est le gardien. Tu devras le trouver tout seul.

Richard dut prendre sur lui pour poser sa question suivante.

— Si c’était le moins pénible, que dois-je attendre de la suite ?

Dans une superbe envolée de cheveux auburn, Shota tourna la tête vers Kahlan.

— Je sais qui elle est, et combien elle est dangereuse pour moi… (Elle se retourna vers Richard.) À l’évidence, tu ignores sa véritable identité. Sinon, tu ne serais peut-être pas avec elle. Kahlan a un pouvoir. Un pouvoir magique !

— Ça, au moins, je le sais… révéla le Sourcier sans s’étendre sur le sujet.

— Richard… (Shota marqua une pause, comme pour chercher ses mots.) C’est difficile à expliquer… Je suis une voyante. Et j’ai la capacité de distinguer les choses telles qu’elles se produiront. C’est en partie pour ça que certains crétins ont peur de moi. (Elle approcha son visage de celui de Richard – une proximité troublante. Son haleine évoquait un bouquet de roses.) Par pitié, ne te range pas sous leur bannière ! Ne me crains pas à cause de pouvoirs que je ne contrôle pas. Si je peux voir des événements à venir dans toute leur vérité, il m’est impossible de les provoquer ou de les influencer. Et ce n’est pas parce que je les pressens qu’ils me réjouissent ! Nos actions présentes seules peuvent modifier ce qui risque de se passer demain. Sois assez sage pour tirer parti de la vérité au lieu de te répandre en imprécations contre elle.

— Et quelle vérité vois-tu, Shota ?

Les yeux en amande prirent une intensité inouïe. Et la voix de la voyante se fit tranchante comme une lame.

— Kahlan a un pouvoir. Si elle survit, elle l’utilisera sur toi. Il n’y a aucun doute sur cette vérité-là. Ton épée te protégera du feu de Zedd, mais elle ne pourra rien contre cette femme.

— Non… souffla Kahlan. (Richard et la voyante se retournèrent et découvrirent le visage ravagé de douleur de la jeune femme.) Je ne le ferai pas ! Shota, je jure que je ne lui infligerai pas ça !

La voyante approcha de Kahlan et tendit un bras, sans redouter les reptiles, pour lui caresser la joue. Un geste de réconfort généreux et sincère.

— Si tu n’es pas morte avant, mon enfant, j’ai peur que tu ne te trompes… (Shota écrasa une larme qui coulait sur la joue de Kahlan.) Tu en as été très près, il n’y a pas si longtemps. Il s’en est fallu d’un souffle. (Malgré son évidente compassion, la voyante ajouta :) C’est la vérité, non ? Dis-lui ! Révèle-lui si je mens ou non !

Le regard de Kahlan se posa sur Richard. Il sonda ses magnifiques yeux verts… et se souvint des trois occasions où elle l’avait touché alors qu’il tenait l’épée. À chaque fois, la magie de l’arme lui avait lancé un signal d’alarme. Chez les Hommes d’Adobe, après le combat contre les ombres, l’avertissement était si violent qu’il avait failli frapper son amie avec l’épée avant de s’apercevoir de ce qu’il faisait.

Les sourcils froncés, Kahlan soutint son regard et se mordit la lèvre inférieure pour étouffer un gémissement.

— Est-ce vrai ? demanda Richard, le cœur serré. As-tu été à un souffle d’utiliser ton pouvoir sur moi, comme l’a dit Shota ?

Kahlan blêmit et ne put pas, cette fois, ravaler un cri pitoyable. Elle ferma les yeux et implora d’une voix brisée :

— Shota, s’il te plaît, tue-moi ! Il le faut ! J’ai juré de protéger Richard et de combattre Rahl. C’est la seule solution, sinon je faillirai à ma mission. Tue-moi !

— C’est impossible, souffla la voyante. J’ai exaucé un vœu. Un vœu très stupide !

Richard crut devenir fou de douleur. Voir Kahlan supplier ainsi qu’on la tue ! Il crut que la boule qu’il sentait dans sa gorge allait l’étouffer.

— Désolée, Kahlan. Si je permettais aux serpents de te mordre, je me parjurerais par rapport à Richard…

Kahlan se laissa tomber à genoux, face contre terre, les doigts enfoncés dans la poussière.

— Pardonne-moi, Richard, sanglota-t-elle. (Ses poings agrippèrent une touffe d’herbe, puis les jambes de son pantalon.) Par pitié, Richard ! J’ai juré de te protéger ! Tant d’innocents ont déjà péri. Dégaine ton épée et passe-la-moi dans le corps ! Fais-le, je t’en supplie ! Tue-moi !

— Kahlan, je ne pourrai jamais… commença le Sourcier, incapable d’aller plus loin.

— Richard, dit Shota, au bord des larmes, si elle survit, avant que Rahl n’ouvre une boîte, elle utilisera son pouvoir sur toi. C’est une certitude ! Si elle vit, rien ne pourra l’empêcher. À cause de ton vœu, je ne peux pas porter la main sur elle. Tu dois le faire !

— Non ! cria Richard.

Kahlan hurla d’angoisse et dégaina son couteau. Alors qu’elle allait se l’enfoncer dans la poitrine, le Sourcier lui saisit le poignet au vol.

— Pitié, Richard ! gémit-elle en s’écroulant contre ses jambes. Tu ne comprends pas. Je dois mourir. Sinon, je serai responsable des atrocités de Darken Rahl. Oui, de tout ce qui arrivera !

Richard la tira par le poignet, la remit debout et lui tordit le bras dans le dos pour l’empêcher de se suicider avec sa lame. Il jeta un regard furieux à Shota, qui regardait la scène, les bras ballants. Tout ça était-il vrai ? Ces prédictions ahurissantes ? Il regrettait de ne pas avoir écouté Kahlan quand elle avait tenté de le dissuader de venir…

Comprenant à ses cris qu’il lui faisait mal, il relâcha un peu sa pression sur le bras de la jeune femme. Devait-il la laisser se tuer ? se demanda-t-il dans une étrange confusion mentale.

Sa main droite tremblait…

— Richard, souffla Shota, en larmes elle aussi, déteste-moi pour ce que je suis, si tu veux, mais pas parce que je t’ai dit la vérité.

— La vérité telle que tu la vois ! Peut-être pas telle qu’elle sera. Je ne tuerai pas mon amie à cause de tes paroles !

— La troisième boîte d’Orden, dit la voyante d’une voix blanche, est détenue par la reine Milena. Mais prends garde : elle ne la conservera plus longtemps. Tiens compte de cet avertissement, au moins si tu choisis de te fier à la vérité telle que je la vois ! (Elle se tourna vers le compagnon.) Samuel, conduis-les hors de l’Allonge. Ne t’approprie rien qui leur appartienne. Si tu désobéis, je serai très mécontente. Et ça inclut l’Épée de Vérité !

Richard vit une larme rouler sur la joue de Shota au moment où elle se détournait, sans le regarder, pour s’éloigner sur la route. Elle s’arrêta après quelques pas et resta un moment immobile, ses magnifiques cheveux auburn cascadant jusqu’à la taille de sa robe vaporeuse.

Elle leva la tête mais ne la tourna pas vers lui.

— Quand ce sera fini, dit-elle d’une voix brisée, et si tu parvenais malgré tout à vaincre, ne reviens jamais ici. Sinon, je te tuerai !

Elle avança vers son palais.

— Shota, souffla Richard, je suis navré…

La voyante ne s’arrêta plus…

La première Leçon du Sorcier -Tome 1
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